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Depuis une vingtaine d’années, les sociétés d’externalisation de paie, très nombreuses, ont inondé le marché français. Le leader ADP a développé un service d’externalisation totale (appelé « management services » ou « MS ») au début des années 2000 ; des sociétés comme Cegedim, Nibelis ou HR Path via sa filiale dédiée Univers Paie ont suivi en prenant également d’importantes parts de marché sur le segment des PME et des grands groupes. L’idée pour les clients était alors d’économiser sur les coûts et de se rassurer sur la conformité des paies en s’appuyant sur les services d’un expert.
Depuis quelques années pourtant la mode semble se retourner. De grands groupes, comme récemment La Fnac, réinternalisent leur paie.
Nous avons souhaité approcher cette thématique en interrogeant des experts, consultants au sein de sociétés d’externalisation et responsables paie de services internes. Notre analyse laisse apparaître que le principal critère qui devrait orienter le choix d’une société vers l’externalisation ou l’internalisation de sa paie est avant tout la taille de la société.
I – Pour les petites PME, mieux vaut externaliser la paie
La majorité des TPE et PME (moins de 250 salariés) choisit de déléguer – totalement ou partiellement – la gestion de leur paie à un prestataire extérieur, souvent un cabinet comptable, afin de pouvoir se concentrer sur leur cœur de métier.
Outre le gain de temps réel qu’elle représente et la maitrise parfaite du coût unitaire par bulletin, l’externalisation leur permet de s’appuyer sur une expertise affirmée, d’être plus agile, de se mettre à l’abri d’une problématique de conformité et donc de gagner en sérénité, comme le souligne Daniel Clémentine (Directeur des services externalisés Paie et RH au sein du groupe Rogers Capital à l’Ile Maurice).
Elle permet également d’éviter les problématiques de remplacement du gestionnaire de paie (absence, maladie, congé, départ…), qui devient souvent un élément indispensable dans ce type d’organisation. D’ailleurs, Christian Lelaidier (Responsable Partenaires Primobox) se pose la question de l’utilité même d’embaucher un profil unique de « gestionnaire de paie » pour cette taille de structure. « Une personne qui va par exemple gérer la paie de 200 salariés avec une convention collective unique va sans doute y consacrer 30% à 50% de son temps. Avec la multiplication des solutions digitales pour la récupération des informations nécessaires à l’établissement des paies (les congés / RTT / Notes de frais / Feuilles de Temps / CRA …), les « fonctions » du gestionnaire de paie des sociétés de 250 collaborateurs ont évolués vers celle d’un RRH. Je me demande s’il y a un réel intérêt d’avoir un gestionnaire de paie en dessous de 250 salariés, aussi bien pour le spécialiste paie, que pour la société ».
Enfin, l’externalisation évite les coûts liés à la mise en place d’un logiciel de paie, à sa maintenance et à la formation des utilisateurs.
II – Pour les grosses PME et les grands groupes, produire la paie en interne semble plus judicieux
Garder la gestion du processus de paie en interne semble être une solution plus adéquate pour les structures qui comptent plus de 250 salariés.
Selon Daniel Clémentine, l’architecture applicative, la complexité organisationnelle (filiales et répartition géographique), fonctionnelle (métiers) et règlementaire (accords internes, usages, pratiques…) de l’entreprise peuvent rendre l’externalisation compliquée. Dans ce contexte, au-delà d’une certaine taille, l’externalisation peut coûter plus chère à l’entreprise en comparaison avec une gestion interne. Delphine Ammeux (Responsable Paie et Reporting RH, Alliance Automotive Group) émet également des réserves sur les présupposées économies d’une externalisation. « Lorsque nous avons choisi notre prestataire (parmi les plus connus du marché), il a réalisé un audit pour évaluer les gains que nous ferions en passant par eux. A postériori, et compte tenu de notre organisation décentralisée, je ne crois pas que nous ayons fait de réelles économies. Il s’avère nécessaire de maintenir un certain contrôle en interne et un prestataire en externalisation a un coût non négligeable ».
Conserver la paie en interne permet d’éviter de prendre le risque de choisir le mauvais prestataire. Anis Maalaoui (Directeur paie, Criteo) en a fait l’expérience. « On s’aperçoit souvent que ceux qui font la paie chez les prestataires sont souvent des profils très juniors et affichent un niveau de compétence assez faible. Parfois, les prestataires font eux-mêmes appel à des équipes basées en Europe de l’est… ces éléments expliquent en partie le taux d’erreurs souvent très important dans les paies. Finalement, ça demande plus de travail de vérifier et de remonter toutes les anomalies. Garder l’expertise paie dans l’entreprise permet d’avoir un meilleur suivi et d’anticiper plus facilement les divers problèmes ». Un avis partagé par Marion Salerno (RRH, Nuvia). « Mes homologues qui ont recours à des cabinets me rapportent toujours les mêmes problématiques : incompréhension entre la demande et l’application, erreurs fréquentes, manque de connaissance et de formation des gestionnaires de paie… ».
Elle souligne par ailleurs que ce fonctionnement permet une certaine liberté d’utilisation et de paramétrage spécifique de l’outil SIRH. « Quel que soit le souhait, il me semble que dans ce cas le dicton « on n’est jamais si bien servi que par soi-même » prend tout son sens. En effet comment mieux adapter un logiciel de paie et son utilisation que lorsqu’on s’en sert tous les jours ? »
Bertrand Jaouen (Responsable paie France, Exide Technologies) y voit les avantages d’une mutualisation et d’un partage des connaissances, des pratiques et des tâches, bénéfiques pour une société en termes de souplesse, de réactivité, de compréhension et d’adaptation des règles. Pour cela, il précise qu’il est essentiel de motiver, de fidéliser et de garder les profils de gestionnaires de paie (très demandés sur le marché). « Je pense que le point le plus important, c’est de réussir à garder l’intérêt de ses collaborateurs au quotidien dans le poste, à travers par exemple des formations, une diversification des tâches, de la gestion de projets, etc ».
Au-delà de la taille de la société, d’autres critères impactent le choix optimal pour chaque organisation, comme par exemple le nombre de structures juridiques et physiques constituant la société, le nombre et les particularités des conventions collectives, etc.
Dans nos prochains articles, nous aborderons le sujet via d’autres angles et nous évoquerons notamment la gestion de la paie « assistée » ou « semi-externalisée ». N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques et commentaires, issues de vos expériences personnelles, afin d’enrichir le débat !